Une
par Massi
Ne surtout pas dormir.
La nuit est dense, cruelle, impénétrable, il faut rester aux aguets, s’accrocher aux moindres points de lumière, et tenir dans l’errance jusqu’au petit matin.
Sicily, du photographe Massimo Gurciullo, est le nom de code d’une terre sauvage et baroque, catholique et païenne, clanique et sensuelle.
Dionysos rôde, mais il est d’abord en soi, c’est une petite fille qui fera souffrir les hommes, un ragazzo violent, une écharpe tigrée.
Je ne sais rien de Massimo Gurciullo, mais cet homme me paraît absolument seul, amoureux d’une île impossible à quitter, titubant dans sa vie comme en ses images, allant au contact des corps et des matières, des visages et des murs centenaires.
Les dalles du palais décati portent des bas résilles, mouillés de désir sans emploi.
Vierge Marie, je vous en supplie, faites-moi jouir encore.
Le quartier a changé, il est étrangement japonais depuis quelques temps.
Dans l’outre-monde, le Japon serait-il devenu sicilien ?
Hommage aux maîtres de la revue Provoke.
Sicily prie, s’interroge, regarde sans discrimination, les enfants, les vieillards, le dos des clandestins, les jolies femmes.
Mères de tous les pays unissez-vous, vos fils ont sombré dans la mélancolie.
Sicily boit, a bu, boira, c’est un marin à terre continuant de chavirer.
L’église est un dernier espoir, comme l’entrejambe d’une inconnue croisée dans un bar.
Le voile d’une nonne, la chevelure d’Anna Magnani, le sourire d’un ange noir.
On ne sait pas très bien comment naviguer entre les vivants et les morts, les squelettes et les chairs, les fantasmes et les échecs.
Le sublime est le commencement de la terreur.
La beauté sauvera le monde.
En attendant, il ne faut surtout pas dormir, et témoigner comme on peut de l’humaine condition, des déchirures et des extases, de la sainteté et de la bassesse, mais à l’agrandisseur, sur papier baryté.
Fabien Ribery ( L'Intervalle, Novembre 2019)
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